Adolescence et lecture font-elles bon ménage ?

80 % des adolescents âgés de 13 à 15 ans déclarent lire pour leurs loisirs. Bien que le chiffre soit en progression de 6 points par rapport à la précédente enquête du Centre national du livre (CNL) en 2022, sa présidente, Régine Hatchondo, souligne que les résultats sont “préoccupants”. L’enquête dévoile un net décrochage des habitudes de lecture à l’adolescence, en particulier chez les garçons. 82 % des garçons et 92 % des filles de 10-12 ans lisent pour leurs loisirs, contre 50 % des lycéens et 74 % des lycéennes.

Au collège, “le gros des emprunts au CDI sont ceux des élèves de 6e et 5e”, remarque Aude de  Royer, professeur de français au collège Rocroy - Saint Vincent, à Paris. “Les documentalistes ont également observé que les livres choisis par les élèves sont plus courts et accessibles”, ajoute-t-elle.

Même constat du côté des éditeurs. Le nombre de livres jeunesse vendus a baissé de 2,9 % par rapport à 2019 ⁽¹⁾. “Il faut pousser les jeunes à lire”, affirme Aude de Royer. L’enseignante fait participer tous les ans ses élèves au Prix des Incorruptibles : ils élisent leur ouvrage favori parmi une liste de six. À ces lectures s’ajoutent celles qui sont au programme. “C’est assez ambitieux, mais ça leur a énormément plu : les élèves m’ont dit qu’une fois qu’ils étaient lancés dans un livre, ils ne s’arrêtaient plus !”, témoigne Aude de Royer.

Des thématiques réalistes

Mission réussie pour l’Association Le Prix des Incorruptibles, qui fonde son succès sur le choix des ouvrages en compétition. “Notre principe est de ne sélectionner que des ouvrages contemporains pour que les élèves puissent s’identifier”, explique Karine Boyer, responsable de l’association. Et si par exemple, les thématiques abordées par les livres de la sélection pour les 5e sont poignants, comme la maladie, la mort, le divorce…, les récits sont adaptés aux adolescents.

Le format documentaire attire également les jeunes, selon le Syndicat national de l'Édition ⁽²⁾. “Le réchauffement climatique et la préservation de la planète, ou [...] les questions sociétales à l’aune du féminisme” sont prisés dans les collections jeunesse, et “une nouvelle tendance se dessine en librairie avec l’apparition d’ouvrages de développement personnel destinés aux enfants.”

Enfin, l’enquête du CNL indique malgré tout que le roman se maintient auprès des adolescents, en particulier grâce aux romans sentimentaux ou d’amour, dont la lecture est en hausse de 9 points par rapport à 2022.

Des formats illustrés

Aude Ranquet organise également un quart d’heure de lecture hebdomadaire pendant ses heures de cours. Cette fois, elle laisse libre choix à ses élèves : “Je vois toujours une ou deux tablettes et beaucoup de bandes dessinées”. Elles sont, en effet, le second genre le plus lus par les collégiens, devant les romans, d’après l’enquête du CNL. Les livres illustrés, en particulier les mangas, arrivent en tête du classement. Ils étaient en bas du podium en 2016, année de la première enquête ciblée sur le jeune public.

Peu importe le format, selon Aude de Royer “ce qui compte, c’est de maintenir un lien avec la lecture. S’ils ont pris de bonnes habitudes, cela revient à l’âge adulte”. Les modes de lecture évoluent. Voilà le second enseignement, plus encourageant, de cette enquête.

Les écrans et la lecture

«  La place laissée aux écrans dans notre vie quotidienne a de réelles conséquences sur la lecture”, constate Régine Hatchondo, présidente du CNL. Elle reconnaît toutefois le rôle que peuvent jouer les réseaux sociaux pour sensibiliser les jeunes à la lecture. Parmi les jeunes lecteurs, 19 % ont choisi un livre après en avoir entendu parler sur les réseaux sociaux, et 15 % se sont fait conseiller par un “booktoker”, un “bookstagrammeur” ou un “booktuber”. Ces influenceurs lecture s’adressent aux jeunes en utilisant leurs codes et les convainquent. “Nous avons constaté des pics sur certains titres parce qu’un influenceur en a parlé”, remarque la responsable de communication du Syndicat national de l’édition. Et les registres sont parfois inattendus. Cette année, la poésie a séduit les adolescents.

Les classiques de la littérature française n’auraientt rien à craindre selon la responsable de l’association Le Prix des Incorruptibles, Karine Boyer : “En prenant goût à la lecture, les jeunes pourront se tourner, plus tard, vers les classiques”.

(1) Le syndicat national de l’édition fait abstraction des années marquées par la crise sanitaire, où l’édition a connu une “hausse artificielle”, explique sa directrice de communication.

(2) Rapport annuel 2023 du Syndicat national de l'Édition.