La littérature jeunesse ou young adult se réinvente et résiste pour séduire les adolescent·es qui lisent de moins en moins de livres.

À l’entrée au collège, l’attrait pour les écrans et les lectures obligatoires d’ouvrages provoquent un décrochage. « On ne diabolise pas les écrans : tous les adolescents ne sont pas perdus pour la cause de la lecture ! Mais c’est à nous, maisons d’édition, de nous remettre en question, de les toucher, et de trouver le lien avec ce qu’ils vivent au quotidien », estime Héloïse des Monstiers, la directrice de Bayard Jeunesse. Certains genres résistent mieux que d’autres, comme le fantastique, la romance ou le documentaire. De même que certains formats : les univers originaux déployés sur plusieurs tomes et les mangas.

19 minutes par jour

Les 16-19 ans lisent en moyenne 12 min par jour, alors qu’ils passent 5 h 10 min devant un écran, selon l’étude du Centre National du Livre « Les jeunes Français et la lecture en 2024 ». Les jeunes femmes font un peu mieux que leurs homologues masculins : 17 minutes de lecture pour elles, contre 7 minutes pour eux.

Le boom du manga

L’étude du CNL le confirme : pour « attirer » les garçons, les webtoons (bandes dessinées à scroller sur smartphone, nées en Corée du Sud) et les mangas sont la solution, puisqu’ils représentent les trois quarts des livres qu’ils lisent entre 13 et 15 ans. « Le secteur du manga ne fait que grossir », confirme Valentin Grot, chef de projet Manga Nova des éditions Ki-oon. La maison d’édition française de mangas, qui fête cette année ses 20 ans, a ouvert en février 2024 une plateforme gratuite et sans publicité pour faire découvrir son catalogue d’œuvres anciennes ou à venir. Le principe : les trois premiers chapitres d’une série prépubliée dans un périodique au Japon sont en accès libre, de même que les trois chapitres les plus récents, publiés en simultané avec la parution magazine japonaise pour des séries comme My Hero Academia ou Jujutsu Kaisen. Ki-oon y propose également ses propres créations d’auteurs français ou japonais.

Il n’y a aucun paiement en ligne : il suffit de créer un compte et on gagne des « novas » en faisant des actions : se connecter une fois par jour, poster un commentaire, partager sur les réseaux sociaux, répondre à un quiz… Ces récompenses permettent ensuite de débloquer des chapitres de lecture. « Le but est d’impliquer les utilisateurs sur la plateforme tout en les amusant », pointe Valentin Grot.

Cette offre gratuite est pour Ki-oon une réponse pour s’aligner sur les offres illégales de mangas en ligne, qui pullulent alors qu’elles ne respectent pas les droits d’auteur, dont les adolescents sont hélas très friands. « On mise aussi sur le fait qu’une fois que ces jeunes lecteurs auront du pouvoir d’achat, ils auront envie d’aller en librairie acheter leurs séries préférées », complète le chef de projet de Manga Nova. Pour le seul titre interdit aux moins de 16 ans, un avertissement est clairement mis, et « si l’utilisateur a bien complété son âge dans son profil et qu’il a moins de 16 ans, il ne pourra pas débloquer ce contenu », rassure Valentin Grot. L’offre a déjà séduit plus de 10 000 inscrits en quelques mois.

Vigilance sur la new romance et dark romance

Autre genre qui accroche bien les adolescents : la « new romance ». « Des femmes se sont emparées de la romance pour en faire quelque chose qui leur plaît, loin des clichés », explique Thierry Laroche, éditeur chez Gallimard Jeunesse, maison qui compte parmi ses récents succès The Way I used to be (2023) d’Amber Smith ou Check and Mate (2024) d’Ali Hazelwood. C’est le genre de prédilection des jeunes filles assidues des communautés littéraires telles que #Booktok sur TikTok ou Wattpad (lire l’encadré).

Si la romance raconte des histoires d’amour, avec des scènes de sexe plus ou moins explicites, la dark romance, elle aussi très prisée des jeunes lectrices, n’est pas adaptée à leur âge. La romance y relève alors de l’interdit et met en scène des relations condamnées par la morale ou la loi, avec enlèvement, séquestration, violences physiques, psychiques ou sexuelles…

Des histoires engluées dans des schémas de soumission des femmes qui représentent un danger, car elles sont un modèle de relations toxiques dont ne sont pas forcément conscientes les très jeunes lectrices. On est loin de l’égalité homme-femme, du consentement ou du droit des femmes à disposer de leur corps. Parmi les titres les plus connus : Captive, réservé selon l’éditeur aux plus de 18 ans, mais que des collégiennes de 12 ans ont lu.

Les éditeurs jeunesse, eux, n’en proposent pas dans leur catalogue : « Chez Gallimard Jeunesse, on s’interdit de publier de la dark romance, car on s’adresse à un jeune public. On peut parler de tout aux adolescents, mais tout dépend de la façon dont on le fait », met en garde Thierry Laroche.

Aux parents d’être vigilants à ne pas laisser leurs enfants accéder à ces livres avant l’âge recommandé.

Wattpad, la fabrique à jeunes autrices

Wattpad est une plateforme qui réunit plus de 94 millions de fans, dont 70 % de femmes. Objectif : être lu sans passer par une maison d’édition. C’est un réseau social (en théorie à partir de 13 ans), où chacun peut interagir avec les textes mis en ligne : commenter, suggérer, voter pour la suite, corriger les fautes… En s'inscrivant, l'internaute s'engage à respecter un code de conduite ("Vous ne devriez pas publier quoi que ce soit que vos pairs, votre famille ou vos enseignants pourraient ne pas vouloir voir en ligne") et peut signaler les contenus jugés inappropriés.

Propulsées par leur succès en ligne, certaines jeunes autrices se sont vu proposer un contrat d’édition, à l’instar de l’Américaine Anna Todd pour sa fanfiction After (2014), devenue un best-seller puis un film. En France, Morgane Bicail, 14 ans à l’époque, a été la première autrice à être repérée sur Wattpad et publiée chez Michel Lafon (PhonePlay, 2016). Et un succès sur Wattpad est désormais un argument de vente : sur le livre d’Inès Leia (Promets-moi de vivre, Harlequin, 2024), un large bandeau mentionne : « Succès Wattpad, plus de 2 millions de lecteurs ». La grande majorité de ces histoires sont des romances pour grands adolescents, l’effet miroir constituant la clé du succès.

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