Groupes en 6e et 5e : ce qu’il faut savoir
C’est officiel, les élèves de 6e et de 5e seront répartis en groupes « constitués en fonction des besoins des élèves » en français et en mathématiques, à partir de la rentrée prochaine. Leurs enseignants pourront, toutefois, les réunir en classe entière « pour une ou plusieurs périodes, une à dix semaines dans l’année », précise l’arrêté publié dimanche 17 mars au Journal officiel.
Le texte présente ainsi une formule fusionnée des « groupes de niveau », qui incarnent le « choc des savoirs » de Gabriel Attal et des « groupes de besoins », souhaités par l’Enseignement catholique. Cet assouplissement fait suite à la visioconférence organisée par le Premier ministre et sa ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, qui a réuni 10 000 chefs d’établissement du public et du privé, en grande majorité contre la mesure telle qu’elle était annoncée.
Alors que Gabriel Attal annonçait, en décembre, vouloir diviser les élèves de chaque classe en trois groupes de 15 élèves maximum, le texte ne prévoit désormais que des groupes à « effectifs réduits » pour les « élèves les plus en difficulté ». Dans le bulletin officiel, le gouvernement précise que « ces groupes peuvent porter sur différents aspects : l’un des domaines des évaluations nationales, une partie du programme ainsi que des compétences plus transversales, par exemple la capacité à se concentrer, à mémoriser ou à organiser son travail ». L’arbitrage sera laissé aux enseignants.
La répartition sera faite en fonction de l’avis des équipes pédagogiques et des résultats aux évaluations de début d’année, et ne serait pas définitive. Le gouvernement précise, dans le bulletin officiel, qu’il « revient à chaque établissement d’apprécier la fréquence la plus adaptée » pour cet ajustement, mais conseille aux établissements de le faire au moment des conseils de classe.
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Le manque de moyens
Les élèves de 6e et de 5e représentent 13 000 classes dans l’Enseignement catholique. Les diviser en groupes implique de multiplier d’autant le nombre d’enseignants et de salles pour mettre en place la mesure. « Je n’ai qu’un prof par classe, donc je n’aurai pas d’heures pour les faire tourner sur plusieurs groupes », regrette Brigitte Bernou, cheffe d’établissement du collège Montalembert, à Nogent-sur-Marne. Le Secrétaire général de l’Enseignement catholique, Philippe Delorme, a, quant à lui, annoncé que seuls 370 postes pourraient être dégagés dans les établissements privés sous contrat en supprimant la 26e heure de soutien prévue pour les élèves de 6e (voir vidéo ci-dessous).
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La souplesse, laissée volontairement aux chefs d’établissement pour répondre à leur demande d’autonomie dans l’application de la réforme, n’est cependant pas suffisante pour le syndicat des chefs d’établissement de l’Enseignement catholique (SNCEEL). « L’arrêté reste plus contraignant que ce qu’on nous avait laissé entendre » lors de la réunion avec le ministre, comme le fait de devoir aligner les horaires de mathématiques et de français de chaque classe malgré le manque d’enseignants, regrette son président, Jérémy Torresan. Plus globalement, il considère que « les interrogations communes aux établissements publics et privés n’ont pas été entendues. »
Cependant, tous les établissements n’en disposent pas, comme le collège Montalembert ou le collège Notre-Dame à Saint-Saulve, dans le Nord. Sa cheffe d’établissement, Blandine Deboosère, explique que « l’État donne une dotation globale qui est répartie par diocèse. Le problème, c’est qu’on nous a retiré des moyens par rapport à l’année dernière, alors je ne sais pas comment mettre en place ce dispositif ». L’Enseignement catholique n’est pas, à l’heure actuelle, concerné par une allocation de moyens complémentaire de la part du gouvernement.
Le SNCEEL regrette également la rapidité avec laquelle cette mesure doit se mettre en œuvre, d’autant que « la plupart des académies ont déjà préparé leur rentrée », sans connaître le cadre d’application des groupes, relève Jérémy Torresan.
L’efficacité interrogée
Fortes de leur possibilité d’innovation, les équipes éducatives de l’Enseignement catholique questionnent l’intérêt pédagogique de cette mesure. Blandine Deboosère a déjà expérimenté un dispositif similaire, « une classe de 6e à plus petit effectif qui regroupait des enfants avec plus de difficultés ». Elle a été dissoute l’année suivante. « On s’est rendu compte que les enfants étaient stigmatisés et qu’ils ne s’amélioraient pas. En les répartissant dans les autres classes, ils ont été tirés vers le haut et les autres élèves n’étaient pas désavantagés », conclut la cheffe d’établissement.
La mathématicienne Mélanie Guénais avait déjà observé, en réaction aux annonces de Gabriel Attal en décembre 2023, que les « classes de niveau », dispositif plus rigide, pratiqué dans plusieurs pays étrangers, « aggrave les inégalités ».
Les « groupes de niveau » et leur version finale qui entrera en vigueur, sont « un entre-deux entre les classes de niveau, inefficaces, et les groupes de besoin dont certaines modalités ont montré leur efficacité », expliquent les chercheurs du programme Idee (1). C’est pourquoi ils déclaraient, en décembre dernier, qu’il est « indispensable d’expérimenter et d‘évaluer cette réforme avant de la généraliser, car il existe trop d’inconnues sur des effets potentiels ». Le président du syndicat des chefs d’établissement rassure les équipes éducatives et les parents d’élèves en conseillant à ses pairs de mettre en œuvre « la seule position tenable : faites au mieux dans l’intérêt des élèves. L’objectif n’est pas d’appliquer le dogme ».
(1) « Les groupes de niveau au collège : la nécessité d’évaluer avant de passer à l’échelle », J-PAL et Idee (programme Innovations, Données et Expérimentations en Éducation », décembre 2023