543 Sept-Octobre 2022
Ne plus penser une réforme par le haut - Interview de Pap Ndiaye, ministre de l'Éducation nationale
Quel regard, en tant qu’historien, portez-vous sur l’école aujourd’hui ?
L’école française s’inscrit dans une longue histoire, celle de la démocratisation de l’enseignement qui a permis aux classes populaires d’accéder dans un premier temps à l’enseignement secondaire jusqu’au baccalauréat. Et ensuite à l’enseignement supérieur – n’oublions pas que les lycées étaient payants jusqu’en 1930. Cette histoire concerne également les jeunes filles. Mais cela ne veut pas dire que l’enseigne- ment soit égalitaire. L’école française butte depuis longtemps sur sa capacité à effacer les inégalités de naissance. L’enjeu aujourd’hui ce n’est plus la scolarisation des enfants des milieux défavorisés, mais de penser des formes plus égalitaires de scolarisation. L’enseignement supé- rieur étant surtout conçu pour produire des élites, avec des systèmes d’écrémage. Comment penser une école qui s’adresse à toutes et tous ? Comment faire en sorte que les études post-bac ne soient pas un champ de mines pour les plus défavorisés ?
Votre nomination a été saluée comme un « symbole de changement ». Vers quoi ?
Je ne suis pas l’anti-Blanquer que certains craignent ou espèrent. Il y a des éléments de continuité avec le quinquennat précédent, notamment du côté des savoirs fondamentaux et de la réforme du lycée. Mais il y a des points d’insistance plus nets du côté de la réduction des inégalités scolaires, ainsi que du côté du développement durable, de l’écologie, et du bien-être des élèves. En particulier après la crise sanitaire, qui a révélé un état de santé physique et psychique des enfants et des adolescents assez préoccupant.
Sur l’écologie et le bien-être avez-vous déjà des pistes de travail ?
Nous souhaitons travailler en partenariat avec les collectivités territoriales sur la question du bâti scolaire qu’il faut adapter au réchauffement climatique. Les programmes scolaires doivent également incorporer l’écologie au-delà des SVT, dans des disciplines aussi variées que les lettres ou l’histoire-géographie. Les élèves sont très sensibles à ces sujets. L’entrée dans la citoyenneté de la jeunesse se fait en grande partie sur les questions environnementales. Le ministère de l’Éducation nationale doit être au rendez-vous et s’emparer de ces préoccupations, qui sont aussi celles de nombreux enseignants.
Le ministre en trois mots
UNIVERSITAIRE
« Je suis enseignant et fils d’enseignante. J’aime parler avec le monde enseignant comme ministre, mais aussi comme collègue. »
HISTORIEN
« Je suis sensible à l’histoire de l’éducation en France et à l’inscription de ce ministère dans cette longue
histoire. »
CONCILIATEUR
« Je suis de ceux qui ne renoncent pas à l’art de la nuance, de la conciliation, y compris en politique. Je déteste la polémique, les tweets vengeurs et les apostrophes incendiaires. »
Allez-vous rapidement modifier les programmes ?
Il y a des procédures. Le Conseil supérieur des programmes, l’inspection générale et la Dgesco travaillent déjà sur ces questions. Nous allons donner un élan et prendre le temps de mettre les choses en place.
Comment l’école peut-elle être le socle d’une société plus respectueuse des uns et des autres ?
L’école doit protéger les jeunes de toutes formes de violences, y compris les violences verbales, les agressions et ce qu’on appelle les micro-agressions, qu’elles soient homophobes, racistes ou antisémites. Nous devons être très attentifs à ces questions. L’école doit être un lieu laïque et respectueux. Respect entre les enfants, mais aussi des enfants à l’égard des enseignants. Il ne s’agit pas d’un vœu pieux. Il faut faire de l’école un lieu propice à l’étude et à l’éveil à la citoyenneté. Il ne s’agit pas d’imaginer une école idéale, une tour d’ivoire, loin des tumultes de la société. Cela serait bien naïf de le penser, mais nous pouvons faire mieux qu’aujourd’hui. L’éducation à la citoyenneté, c’est l’apprentissage de règles communes. Et l’essence de la démocratie, c’est de gérer pacifiquement les désaccords et d’en faire des points d’appuis.
Comment l’école peut-elle faire barrage aux violences qui s’expriment actuellement dans la société ?
Il y a tout ce qui relève des règles, des normes, de ce que l’on a le droit ou non de faire. L’école n’est pas un lieu d’anarchie. Mais la pleine confiance dans l’école sera également gagnée quand elle remplira complètement sa promesse : celle de l’émancipation de toutes et tous. La légitimité et la solidité de l’école résident dans sa capacité à répondre au défi des inégalités. Une école qui réduit les inégalités sera une école où la confiance sera renforcée et où les enfants s’investiront parce qu’ils sauront que l’école est au rendez-vous de leurs espoirs.
Cette confiance doit-elle s’établir également avec les familles ?
Bien sûr. Dans le code de l’Éducation de 2005, il est explicitement dit que les parents d’élèves font partie de la communauté éducative. Nous allons engager un dialogue avec eux et leurs associations représentatives pour que, au-delà des bonnes intentions, ils se sentent partie prenante des projets pédagogiques et de cette communauté éducative, grâce aux grands débats que nous allons initier dès cet automne.
Pouvez-vous nous donner des précisions sur ces grands débats ?
Il ne s’agit pas d’un Grenelle de l’éducation. Surtout pas. L’idée, c’est de ne plus penser une réforme par le haut. Nous voulons nous appuyer sur les projets d’établissement, comme cela a été fait à Marseille pour le projet Écoles du futur. Tous les projets d’établissement ne se valent pas, mais beaucoup sont excellents et peuvent enrichir ce travail collectif. Ces débats, pour lesquels nous fourniront des cadres et des indications, permettront de réfléchir à l’échelle locale, celle d’une école ou d’un groupement d’établissements, afin de faire émerger des projets novateurs dans le plus grand nombre possible d’académies. Les établissements sous contrat y auront toute leur place. Il nous faudra trouver la bonne méthode pour que ces idées essaiment.
Quels sont vos dossiers prioritaires pour la rentrée ?
Notre priorité sera de placer un professeur devant chaque classe. Ce qui devrait aller de soi, mais nous avons une difficulté de recrutement dans le premier et le second degrés. Deux académies en particulier, Créteil et Versailles, attirent toute notre attention. Il nous faudra aussi nous assurer de la mise en place, dans de bonnes conditions, de l’introduction de l’heure et demie de mathématiques dans le tronc commun de première, pour celles et ceux qui n’ont pas choisi la spécialité mathématiques. Ainsi que de la généralisation de la demi-heure d’activité sportive quotidienne dans le premier degré.
Nous pouvons également faire beaucoup mieux en matière d’orientation. Nous allons lancer la demi-journée de découverte des métiers, une fois par mois, à partir de la 5e, réfléchir très sérieuse- ment aux stages de 3e qui peuvent être très discriminants. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que cela dépend des familles.
Enfin, de manière encore très expérimentale deux heures de sport hebdomadaires seront mises en place au collège, en lien avec les associations locales.
Prévoyez-vous une réforme du collège ?
Il est vrai que le collège n’a pas bénéficié, ces dernières années, d’autant d’attention que le primaire, avec le dédoublement des classes, l’accent mis sur les fondamentaux, et le lycée, avec la réforme du bac. Nous commençons à y réfléchir en lien avec nos partenaires, y compris les organisations syndicales. Je ne rêve pas d’une grande loi, mais de choses pragmatiquement pensées pour améliorer la situation des collèges, qui ne doivent pas être les parents pauvres du système éducatif. Nous savons que ces années scolaires sont décisives.
La formation et le recrutement des enseignants sont des points cruciaux. Comment rendre ce métier plus attractif ?
La question se pose en France, et dans d’autres pays d’Europe et au-delà. L’Allemagne, où la rémunération des enseignants est jusqu’à deux fois plus élevée qu’en France, connaît aussi un problème de recrutement. Il faut certes augmenter les rémunérations qui ne sont pas assez attractives pour des jeunes à bac+5. Mais la rémunération ne fait pas tout. Il y a également les conditions de travail ou le déroulement de carrière qui doivent être revus. Ils ne se sentent pas reconnus à leur juste mesure et éprouvent un sentiment de déclassement social. Nous voulons répondre à ce malaise. Cela commence par le rétablissement d’un dialogue respectueux avec les organisations syndicales. Les relations entre parents et enseignants doivent également être des relations de confiance, d’échange et de sincérité.
Y aura-t-il toujours un Conseil scientifique de l’Éducation national ?
Oui. Avec des sciences cognitives, mais sans oublier les sciences sociales. Les sciences cognitives doivent dialoguer avec d’autres sciences.
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