Harcèlement scolaire : l’engrenage infernal du cyberharcèlement
Des temoignages glaçants
« JE ME PRÉPARAIS AVEC LA BOULE AU VENTRE. Dans le bus, le stress montait. En classe, je recevais les premières insultes, moqueries, tapes sur la tête, coups de pied ou de compas. Quand je me retournais, je me faisais punir. Sur le chemin du retour, je savais que j’allais me faire racketter... » De 10 à 16 ans, Jonathan Destin s’est fait harceler à l’intérieur et hors de son établissement. Un jour, il a tenté de mettre fin à ce calvaire en s’immolant par le feu. Mu par un réflexe de survie, il s’est jeté dans un canal. Brûlé à 72 %, il a suivi courageusement une longue rééducation. Depuis, il témoigne de ce qu’il a vécu. Son but : sensibiliser les élèves.
Président de l’Association Hugo, qui lutte contre ce fléau, Hugo Martinez, 20 ans, a lui-même été persécuté durant toute sa scolarité. « Cela s’est installé peu à peu, témoigne-t-il. Au départ, une seule personne m’insultait, puis les autres ont commencé à rigoler. En CM2, j’ai trouvé des menaces de mort sur mon pupitre. Au collège, le harcèlement est devenu physique. » En 4e, le phénomène bascule dans le monde virtuel. « Lors d’un voyage scolaire, ils m’ont filmé pendant que je ronflais et ils ont diffusé la vidéo sur Facebook, raconte-t-il. Je ne comprenais pas pourquoi des jeunes que je ne connaissais pas riaient de moi. »
Violence prolongée
Le harcèlement scolaire se caractérise par une violence répétée, physique, verbale ou psychologique, à l’encontre d’un élève. Elle implique un ou plusieurs agresseurs et des témoins. Elle survient de plus en plus tôt, souvent en fin d’école primaire et au collège, et persiste parfois jusque dans l’enseignement supérieur. Elle se prolonge presque toujours sur les réseaux sociaux. « Le cyberharcèlement augmente de façon exponentielle depuis une dizaine d’années, à mesure que les usages numériques se généralisent et rajeunissent, étant donné que les enfants possèdent un smartphone de plus en plus jeune », constate Justine Atlan, directrice de l’association e-Enfance. Le nombre de cas recensés progresse aussi parce que la parole se libère. « Avec des campagnes de sensibilisation régulières depuis 2012, les victimes osent davantage se plaindre », précise-t-elle.
Des ados qui refusent la différence
Cette hostilité entre pairs vient souvent d’un refus de la différence. « Les adolescents sont normatifs entre eux », note Justine Atlan. « On se moquait de mon poids, de mon nom, de mes difficultés à l’école », se souvient Jonathan Destin. « Moi j’étais le bigleux, le gros et l’intello de service », témoigne Hugo Martinez.
Tous les acteurs impliqués dans cette mise au pilori en sortent meurtris. Le harceleur s’en veut ou s’enferme dans le déni. Les témoins culpabilisent ou se sentent insécurisés. Les victimes, elles,
« peuvent perdre l’estime de soi et se sentir coupables, pas sociables, pas aimables en fait. Certaines ressentent une anxiété chronique qui les conduit à s’isoler davantage, voire plongent dans un état dépressif, qui peut amener à une tentative de suicide », décrit la psychiatre et psychanalyste Marie- France Hirigoyen, à qui l’on doit la définition du harcèlement moral en 1998 (1). « On se dit : “Si je suis minable, si je ne sers à rien, pourquoi suis-je sur Terre ?” », renchérit Hugo Martinez, qui a tenu le coup grâce à sa passion pour le cinéma.
Si, comme le rappelle Marie-France Hirigoyen, « le bouc émissaire a toujours existé », le harcèlement scolaire actuel reflète notre monde : « Une société de l’émotion où l’on s’exprime de façon impulsive, par des messages courts et des images. »
« Les jeunes passent beaucoup de temps dans l’univers numérique et cela participe de leur éducation, ajoute Justine Atlan. Quand ils assistent à des échanges injurieux sur Twitter, cela les désinhibe. »
(1) Le Harcèlement moral – La Violence perverse au quotidien (Syros, 1998).
Déficit d’autorité des adultes
Ce fléau prospère aussi sur un déficit d’autorité des adultes. « C’est aux parents et aux enseignants de sanctionner les comportements abusifs », rappelle Marie- France Hirigoyen. « Certains profs se rendaient compte mais ne disaient rien, parfois par peur de se faire crever leurs pneus », raconte Jonathan Destin. Les adultes ont d’autant plus de mal à réagir que les victimes gardent le silence « par peur des représailles et par honte », précise Jonathan. Les jeunes ont aussi appris à persécuter dans l’ombre. « La violence a changé. Elle est plus subtile, moins directe et donc plus difficile à repérer », analyse Marie-France Hirigoyen.
Aujourd’hui, les victimes ont plus de chance d’entendre parler de cet engrenage, « à condition de continuer à sensibiliser chaque nouvelle génération », nuance Justine Atlan. « Mettre des mots sur ce qui m’est arrivé a contribué à ma reconstruction personnelle », affirme Hugo Martinez, qui a poursuivi sur cette lancée. Son association s’est mobilisée pour que le harcèlement scolaire soit inscrit dans la loi pour une École de la confiance, promulguée le 26 juillet 2019. Depuis, une proposition de Loi a été adoptée en décembre 2021 par l’Assemblée Nationale, créant un nouveau délit de harcèlement scolaire, avec des sanctions de plusieurs années de prison et plusieurs milliers d’euros d’amende. Mais le Sénat a retravaillé le texte, intégrant le harcèlement scolaire au délit générique de harcèlement dont il constitue un cas particulier. Le nouveau texte combat le harcèlement scolaire et insiste sur le cyberharcèlement. Adopté le 27 janvier par le Sénat, il met aussi l’accent sur la prévention. La proposition amendée doit revenir pour ratification à l’Assemblée Nationale.
Le cyberharcèlement
Sur Internet, le harcèlement scolaire se démultiplie et « se poursuit hors de l’enceinte de l’école, nuit et jour. L’enfant n’est jamais tranquille », précise la psychiatre Marie-France Hirigoyen. À l’abri derrière leur écran, les harceleurs propagent largement leurs brimades en ligne, souvent sexualisées : sexting (diffusion sans autorisation d’images de nudité), rumeurs, usurpation d’identité, groupe de discussion injurieux. « Cela peut venir d’une vengeance, d’un dépit amoureux, d’une rivalité. Les parents sont surpris par la violence des propos (incitation au suicide, au meurtre) », indique Justine Atlan, directrice de l’association e-Enfance. Pourquoi tant de haine ? « Dans une société narcissique comme la nôtre, il est important de se faire valoir sur les réseaux sociaux. Les jeunes peuvent avoir la tentation de s’exhiber, y compris dans la violence », explique Marie-France Hirigoyen.
Non au harcèlement : comment accompagner la lutte contre le cyber-harcèlement ?
Justine Altan, Directrice de l’association e-Enfance, nous explique comment les écoutants du numéro 30 18 prennent en charge les victimes de cyber-harcèlement.Justine Altan, Directrice de l’association e-Enfance, nous explique comment les écoutants du numéro 30 18 prennent en charge les victimes de cyber-harcèlement.