Prenons soin du moral des jeunes
« LA TROISIÈME VAGUE est psy. » Depuis quelques mois, la formule fait mouche. Hélas, non sans raison. Au décompte de Santé publique France d’octobre dernier, 21 % des Français présentaient un état dépressif – difficultés de concentration, idées sombres, problèmes de sommeil. Huit jeunes sur dix estiment avoir subi des préjudices importants liés à la crise sanitaire, et plus d’un tiers a consulté pour des raisons psychologiques (1). Selon l’AP-HP, les hospitalisations en pédiatrie pour raisons psychiatriques ont grimpé depuis le mois d’août dernier. D’après une étude canadienne, la pandémie a eu un impact brutal sur la santé mentale des jeunes adultes au Québec : 37 % des 18-24 ans répondaient à des critères d’anxiété ou de dépression majeure, en septembre 2020, selon l’université Sherbrooke.
Épuisement psychique
Rien d’étonnant aux yeux de la psychologue Jeanne Siaud-Facchin, en lien permanent avec les ados et jeunes adultes : « Si le premier confinement était un événement “historique”, qui nous a tous poussés à nous dépasser, et qui a représenté pour eux une sorte de challenge, le second confinement a chronicisé la pandémie. Or, l’épuisement psychique, on le sait, naît de l’usure. En mars 2020, on a vécu un arrêt sur image. Aujourd’hui, nos ados et jeunes adultes sont dans le brouillard. »
D’après la psychanalyste Sophie Braun, spécialiste des jeunes, le confinement est l’antithèse absolue de l’adolescence : « Se reconfiner loin des copains, sans perspective de voyager sac au dos, devoir suivre les cours en visioconférence, alors que c’est un âge où l’on doit élargir son cercle social, est problématique et entraîne un grand sentiment de solitude et d’exclusion. Les jeunes ont également souffert de stigmatisation, quand on a évoqué leur potentiel contaminateur. Ouvrir les lycées et laisser les universités fermées a vrai- ment contribué à blâmer les étudiants », poursuit-elle.
Perception d’un monde dangereux
Déjà préoccupés par la crise climatique, ces ados et jeunes adultes vivent désormais avec la perspective d’habiter un monde dangereux... « On leur dit : “Ça n’est pas grave de rester chez toi, d’autres ont fait la guerre sur le front”, rapporte Sophie Braun. Mais à l’âge de la découverte du monde, ça n’est pas rien. Ce que je vois, chez eux, c’est une forme de déprime qui ressemble à de l’apathie, un sentiment d’impuissance. Ils en souffrent d’autant plus qu’ils ont eu une enfance extrêmement protégée, et ont obtenu ce qu’ils voulaient. Cette génération d’enfants rois, élevée généralement dans le confort matériel, n’a pas eu à se battre... Et c’est à eux, soudain, que l’on parle de “guerre”, comme d’un présent permanent dans lequel ils se sentent prisonniers. »
Et si nous leur redonnions espoir ? « Disons-leur que le mot “crise”, dont on nous rebat les oreilles, est composé de deux idéogrammes en chinois : danger et opportunité. Rappelons-leur que toutes les générations de l’après-guerre se sont retroussé les manches pour reconstruire l’avenir. En les désignant comme une “génération sacrifiée” ou “génération Covid”, on risque de verser dans la prophétie autoréalisatrice et de les enfermer », souligne la psychanalyste.
Réinjecter du sens
À nous de réinjecter du « symbolique » dans leur existence, en les orientant vers l’autre, le caritatif... « Certes, ils vivent une crise économique, mais nous pouvons leur rappeler que le bien-être matériel ne rend pas heureux. Pour preuve, la génération des “boomers” est une grande consommatrice d’anxiolytiques ! Il faut leur répéter qu’ils sont créatifs, inventifs, et que nous les attendons pour créer le monde d’après, insiste Sophie Braun. On voit déjà à quel point les jeunes ont su mettre au point un système de troc, d’échange, avec les applis anti-gaspi par exemple. On peut leur conseiller d’organiser des groupes de soutien scolaire, d’alphabétisation... De se rendre utiles auprès des plus précaires dans les paroisses notamment. Le monde a besoin d’eux ! »
« C’est l’action qui les sortira de leur apathie et de leur marasme psychologique, renchérit Jeanne Siaud-Facchin. Leur résilience passera par là. Et, d’ailleurs, la crise les a rendus pragmatiques. Sur le terrain, on constate un net engouement, depuis le début de la crise, pour les études en alternance. Ils veulent s’engager, corps et âme, dans le réel, mais un réel qui a du sens. »
« Au fond, cette génération des millennials, née avec Internet, dans le virtuel, n’aspire qu’à une chose : quitter les écrans et retourner au charbon, résume Sophie Braun. Et c’est en ce sens que la crise est une réelle opportunité. C’est l’occasion de les sortir de ce repli existentiel qui les menace depuis quelques années... C’est bien cela qu’il faut leur mettre en mains. Nous les attendons pour reconstruire le monde. »
A Lire
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C’est quand la vie ? Paroles de jeunes, éclairage d’une psy
De Sophie Braun, Éditions du Mauconduit, 2014
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Avoir 20 ans en 2020. Le nouveau fossé des générations
De Martine Segalen et Claudine Attias-Donfut, Odile Jacob, 2020
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