Vos questions sur le numérique : nos experts vous répondent
Convaincus ou réfractaires, les parents se posent légitimement beaucoup de questions sur les usages de ces outils technologiques et sur les comportements qu’ils induisent. De nombreux experts ont accepté de répondre à vos principales interrogations et de décrypter certaines attitudes et pratiques de vos enfants.
Mon enfant est toujours accroché à son smartphone que faire ?
Réponse de Justine Atlan, directrice de l'Association e-Enfance
En général, les enfants sont équipés d’un téléphone à partir de l’entrée en 6e, vers onze ans. L’achat d’un téléphone à cet âge est motivé soit par les parents, qui souhaitent ainsi garder le contrôle de leur enfant qui devient physiquement autonome, soit en réponse à la pression de leur enfant. Dans les deux cas, il y a là un grand malentendu. Grâce au téléphone, l’enfant souhaite être en lien avec ses amis mais pas vraiment avec ses parents. Aux parents qui se demandent ce que leurs enfants font pendant tout ce temps sur leur smartphone, la réponse est simple : ils sont en lien avec leurs amis via les réseaux sociaux, dont les jeunes raffolent Snapchat, Instagram, WhatsApp, etc. Et ils passent aussi beaucoup de temps à regarder des vidéos sur Youtube.
Si, aujourd’hui, il paraît impossible d’interdire d’avoir un téléphone, les parents ont un rôle primordial à jouer. D’abord, s’interroger sur le type d’appareil qu’ils vont acheter à leur enfant. Ils ne sont pas obligés d’acheter tout de suite un smartphone. Il peut être offert plus tard, vers la 4e, quand l’enfant a montré qu’il savait utiliser cet outil qui nécessite une éducation. Ensuite, les parents doivent bien s’informer sur les forfaits proposés par les opérateurs. Certains proposent des forfaits spéciaux pour les jeunes avec un contrôle parental bien fait, avec une gestion à distance du temps, du débit sur Internet, de l’accès aux réseaux sociaux, etc.
Enfin, si les parents trouvent que leur enfant passe trop de temps sur le téléphone, ils doivent se faire confiance. Leur ressenti est le signal qu’il faut fixer des limites et des règles : pas de téléphone à table, ni le soir avant le coucher, ni pendant les devoirs, etc. Les jeunes sont ultraconnectés via leur smartphone et sans cesse sollicités par des alertes, des notifications, c’est aux parents de dire stop ! Les adolescents seront même soulagés qu’on leur fixe des limites qu’ils ne sont pas capables de se donner eux-mêmes.
De quels piègent nos ados doivent-ils se méfier sur les réseaux sociaux ?
Réponse de Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne, cofondatrice de l’association e-Enfance.
Les réseaux sociaux représentent un piège particulièrement redoutable pour les ados, parce qu’ils surfent sur toutes les passions de l’adolescence : rester en lien permanent avec ses copains, s’exhiber, commenter, rire ensemble… Le premier piège est celui de l’hyper-connexion, proche de l’emprise, surtout s’ils disposent d’un smartphone. Aidez-les à prendre une distance, en leur demandant de déposer leur téléphone (ou leur tablette) dans le salon avant le dîner, les devoirs et surtout avant le coucher.
Deuxième piège : l’exhibition. Conseillez-leur de ne jamais donner sous n’importe quelle condition une photo dénudée ou suggestive, même à un copain. En consultation, j’ai reçu beaucoup d’adolescentes ayant cédé à un chantage prétendument intime… Elles ont envoyé une photo par mail et se sont retrouvées sur Facebook. Un réseau comme Snapchat vous promet l’auto-destruction quasi immédiate des données… Mais il suffit qu’une image soit enregistrée sur un logiciel puis publiée sur Facebook pour vivre un vrai cauchemar.
Troisième piège : le “phishing”. Un individu vous envoie un lien qui vous redirige ensuite sur une page d’accueil Facebook et vous demande vos coordonnées pour les “piller”. Conclusion : ne jamais cliquer sur un lien douteux, et ne donner ses coordonnées sous aucun prétexte.
Quatrième piège : le harcèlement, d’autant plus pernicieux qu’il est confondu avec… l’humour. Apprenez-leur à repérer les taquineries “répétitives”. Suggérez-leur de retirer de leur liste les individus “harceleurs” et malveillants envers certains copains.
Cinquième piège : la pensée “de masse”. Sur les réseaux sociaux, tout le monde hurle avec les loups et il est très difficile de faire entendre sa propre différence. Comment y remédier ? En développant leur esprit critique. C’est en continuant à communiquer avec eux qu’on leur permettra de prendre de la distance avec cette “pensée conformiste”, reine des réseaux sociaux.
Pourquoi nos ados font-ils sans cesse des selfies ?
Réponse d'Elsa Godart, psychanalyste et philosophe, auteur de Je selfie, donc je suis (Albin Michel).
Le selfie traduit l’évolution d’une société qui est passée du Logos grec (discours basé sur la raison et le langage) au culte de l’image éphémère. C’est ce que les Coréens ont baptisé le “pic speech”, le dialogue par l’image. Grâce au selfie, les ados expriment d’un clic leurs émotions, positives ou négatives, leurs amitiés nouvelles. Mais ce selfie, posté sur les réseaux sociaux, est toujours adressé aux autres et c’est en ce sens que cela nous questionne. Tout comme le “stade du miroir”, qui permet au bébé, entre 6 et 18 mois, de construire son irréductible individualité, le stade du selfie, chez l’ado, permet de prendre conscience de son “soi digital”, de son identité virtuelle et sociale.
Que cherchent les ados, sinon à recueillir le maximum de like et de commentaires élogieux ? En ce sens, le selfie est un beau booster d’estime de soi. En postant des images d’eux-mêmes, à un âge où l’on se sent “flottant”, où l’apparence physique change si vite qu’elle nous perd, on prend la mesure de son existence, on se teste, à travers différentes coiffures, différentes tenues... Et c’est constructif. C’est même créatif, au sens où l’on peut également se mettre en scène, travailler son image avec Photoshop, jouer sur les lumières, les couleurs. Les adolescents sont passés maîtres en ce genre de jeux !
En revanche, attention à ne pas se laisser piéger. Je pense bien évidemment aux sextings (textos doublés de selfies sexy), mais aussi à l’addiction réelle aux selfies, comme ce jeune Britannique de 19 ans qui ne faisait plus rien d’autre que se prendre en photo. Sans en arriver là, certains ados deviennent dépendants du regard de l’autre, en calculant le nombre de like qu’ils récoltent. Parlons-en à nos enfants et aidons-les à s’apprécier autrement.
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